L’Ecotourisme mondial

Depuis la parution du rapport Bruntland en 1987, en passant par le Sommet de la Terre à Rio et, plus récemment, le Sommet de Johannesburg, le concept de « développement durable » est sur bien des lèvres. Un nombre croissant de chercheurs se penchent aujourd’hui sur ce paradigme et tentent de mieux comprendre comment concilier le développement socio-économique et la protection de l’environnement. Malgré les quelques années qu’elle a derrière elle, la notion de développement durable ne fait toujours pas l’unanimité, tant dans la population en général que parmi les scientifiques. Le nombre élevé de définitions en circulation ainsi que la complexité inhérente à un tel concept, qui fait des emprunts dans presque toutes les disciplines, permettent un grand nombre d’interprétations et, du coup, participent à la confusion générale. La spécificité du développement durable tient dans la reconnaissance de l’environnement comme élément de développement. La nouveauté de la prise en compte de l’environnement dans les questions de développement nous oblige à explorer d’autres champs d’activités jusque là tenus pour marginaux. « Une chose est absolument certaine : dans aucun pays, encore moins sur la planète entière, l’évolution contemporaine de la civilisation humaine n’a un caractère durable. Ainsi, l’idée du développement durable est un défi, un appel urgent à l’exploration de voies qui nous permettraient d’y parvenir. Parmi la panoplie d’outils proposés afin d’évoluer vers un développement durable de nos sociétés, il y en a un qui retient maintenant l’attention : l’écotourisme.

Depuis le début des années 1970, le tourisme est l’industrie qui connaît la plus forte croissance à l’échelle de la planète. Avec l’émergence de nouvelles préoccupations sociales et environnementales, celle-ci est de plus en plus confrontée à la question de sa compatibilité avec le développement des communautés locales et de la protection de l’environnement. L’écotourisme est alors souvent vu comme une solution miracle capable de concilier le développement économique, la protection de l’environnement et le bien-être des communautés. Autour du monde, l’écotourisme a été acclamé comme une panacée : une façon de financer la conservation et la recherche scientifique, de protéger les écosystèmes vierges et fragiles, de bénéficier aux communautés rurales, de promouvoir le développement dans les pays pauvres, de renforcer la sensibilité écologique et culturelle, d’insuffler une conscience sociale et environnementale à l’industrie touristique, de satisfaire et d’éduquer les touristes et même, d’après certains, de bâtir la paix mondiale. Cependant, peu d’études ont tenté de caractériser l’écotourisme durable et les exemples positifs d’écotourisme sont encore rares. De plus, certains chercheurs se questionnent à savoir si l’écotourisme peut être viable dans le temps sans se transformer en simple tourisme de masse, lequel s’éloigne généralement des principes du développement durable.

L’écotourisme s’est développé dans la foulée du mouvement environnemental qui a pris forme au début des années 1970. L’intérêt grandissant du public pour l’environnement et les voyages orientés vers le plein air, couplé avec la croissante insatisfaction envers le tourisme de masse, a montré à l’industrie du tourisme qu’il y avait une place pour l’écotourisme. La compréhension et l’acceptation des principes de conservation et de durabilité par une portion grandissante de la population a aussi participé à l’évolution phénoménale du terme écotourisme.
Il n’y a pas de consensus sur l’origine du terme écotourisme. Selon certains auteurs, il serait apparu pour la première fois en langue anglaise dans un article de Romeril. Cependant, l’écologiste mexicain Ceballos-Lascurain a utilisé le mot espagnol ecoturismo encore plus tôt, alors que le Service National des Forêts du Canada faisait, dès 1973, la promotion d’écotours le long de la Transcanadienne. Récemment, on a même retracé le terme dans un article de Hertzer (1965) qui l’utilisait pour expliquer la relation complexe entre les touristes et l’environnement et les cultures avec lesquelles ils interagissent. Cependant, c’est Budowski (1976) qui est généralement cité comme le pionnier concernant le concept même d’écotourisme. Dans son article Tourism and Environmental Conservation : Conflict, Coexistence or Symbiosis ?, Budowski reconnaît que la relation entre le tourisme et l’environnement naturel tend à être conflictuel, mais que le potentiel existe pour une relation basée sur les bénéfices mutuels. Sa description de la relation symbiotique qui pourrait s’en suivre ressemble à l’idée contemporaine qu’on se fait de l’écotourisme, sans toutefois utiliser le terme. La dissémination du terme et du concept est souvent associée à Elizabeth Boo dont le livre, Ecotourism : The Potentials and Pitfalls, contenait une définition mise de l’avant par Ceballos-Lascurain à la fin des années 1980.
Alors qu’une définition comme celle de Ceballos-Lascurain (1987) met l’emphase sur une proximité recherchée avec la nature par les touristes, les définitions plus récentes ont plutôt cherché à mettre en lumière une variété de principes associés au concept de développement durable. S’inscrivant dans ce courant, les participants au premier Sommet mondial de l’écotourisme, qui s’est tenu à Québec en 2002, ont reconnu que l’écotourisme englobe les principes du tourisme durable en ce qui concerne les impacts de cette activité sur l’économie, la société et l’environnement et qu’en outre, il comprend les principes particuliers suivants qui le distinguent de la notion plus large de tourisme durable (Organisation mondiale du tourisme (OMT) et Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).
Le milieu naturel est intimement lié à l’écotourisme et cette relation privilégiée transparaît particulièrement dans les premières définitions de l’écotourisme. Valentine identifie trois dimensions principales associées au tourisme axé sur la nature : l’expérience, le style et le lieu. L’expérience va varier dans sa dépendance à la nature, l’intensité de l’interaction, le contexte social et la durée. Le style est associé par exemple à l’infrastructure nécessaire, à la taille et à la composition du groupe ou à la durée de la visite. Le lieu varie en termes d’accessibilité, de fragilité ou de nature (gestion et accès privés vs publics, par exemple).

Bien que le tourisme axé sur la nature semble de prime abord facilement identifiable, la question suivante mérite d’être posée : qu’est-ce qui réellement constitue réellement une expérience axée sur la nature ? Est-ce que la traversée en automobile d’une vallée boisée se qualifie comme tel, ou bien le conducteur doit s’arrêter et aller marcher à travers les arbres et les fougères ? Et s’il le fait, combien de temps doit-il vagabonder ? Est-ce qu’un environnement grandement modifié par l’homme peut tout de même être qualifié de lieu écotouristique en autant que tous les autres principes soient respectés ? Est-ce qu’une marche dans une plantation d’arbres ou une expédition en canot sur un lac artificiel constituent une expérience axée sur la nature ? La question de la proximité est souvent soulevée lorsque vient le temps de considérer si une expérience touristique impliquant un élément naturel peut être considérée comme telle. Mais là encore, on pourrait débattre longuement du sens de cette exigence.
Une frontière devra être tracée quelque part afin de rendre opérationnelle la définition du tourisme axé sur la nature et, par le fait même, de l’écotourisme. Il va sans dire que la subjectivité ne pourra alors être évitée et toute définition de ces concepts comportera une composante arbitraire.
Considérant que le tourisme est la plus importante industrie au niveau international, son potentiel à contribuer au développement durable est substantiel. Deux principes liés à la durabilité sont régulièrement mentionnés en écotourisme : l’apport à l’économie locale et le support à la conservation. Ceci sous-entend que si les communautés locales récoltent suffisamment de fruits de l’arbre de l’écotourisme et qu’en outre l’écotourisme participe activement à la conservation du milieu naturel, nous nous dirigeons fort probablement vers la durabilité. Mais comment peut-on déterminer qu’une expérience de tourisme supporte suffisamment les communautés locales et la conservation pour se qualifier d’écotourisme ? Comment décider si les bénéfices aux communautés locales sous forme d’emplois et de revenus justifient les pertes irréversibles au regard de leur identité culturelle ?
Alors que l’on s’accorde généralement sur les principes de base du développement durable, peu de concepts sont aussi ambigus lorsque vient le temps de l’interprétation et de la mise en œuvre. Même s’il est possible de réconcilier les nombreuses interprétations et ambiguïtés autour de la durabilité, le problème de déterminer si oui ou non tel projet écotouristique adhère au développement durable demeure entier. Les tentatives pour résoudre ce problème sont confrontées au manque flagrant de connaissances du domaine, autant dans les sciences environnementales qu’en tourisme.
Il est impossible d’évaluer au-delà de tout doute si une opération ou une activité écotouristique particulière est durable du point de vue environnemental ou socioculturel sans que l’on accepte une définition anthropocentrique très diluée du concept. Ainsi, insister sur le fait qu’un produit doit être durable (comme le font la plupart des définitions) pour se qualifier d’écotourisme n’est point réaliste et sert à exclure la majorité, sinon toutes les activités qui autrement se qualifieraient. Il semble plus raisonnable de soutenir que l’écotourisme devrait paraître durable, sur la base des meilleures connaissances et de l’expérience disponibles «
Il ne faut pas oublier que l’écotourisme est d’abord et avant tout une forme de tourisme et qu’en ce sens, il convient de le situer plus précisément par rapport aux autres formes de tourisme auxquels il est souvent confondu, soit principalement le tourisme axé sur la nature, le tourisme d’aventure et le tourisme culturel.
Alors que le tourisme axé sur la nature et le tourisme d’aventure sont plutôt définis sur la base des activités récréatives des touristes, l’écotourisme est défini aussi, sinon plus, par les bénéfices qu’il est susceptible d’apporter, tant à la conservation qu’aux communautés locales. Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’écotourisme est étroitement lié au milieu naturel. Il importe par contre de distinguer l’écotourisme du simple tourisme nature. Comme le souligne Honey, il y a fréquemment un flou concernant les frontières entre le tourisme axé sur la nature et le concept multidimensionnel d’écotourisme. L’écotourisme adhère à des principes (du moins en théorie) que la notion plus vague de tourisme axé sur la nature n’est pas tenue de partager. Tant dans la littérature que dans la pratique, on mélange souvent les deux, considérant des formes de tourisme axé sur le milieu naturel comme étant de l’écotourisme, mais qui ne répondent pas à ses principes. Le tourisme axé sur nature se trouve à être une forme plus générale de tourisme à l’intérieur de laquelle on peut retrouver, par exemple, le tourisme d’aventure ou le tourisme axé sur la chasse ou la pêche.

En mettant l’emphase sur la protection de l’environnement naturel, les aires protégées5 deviennent des lieux privilégiés pour l’écotourisme, lequel dépend en grande partie des ressources naturelles. Par contre, la rareté de ces espaces, leur caractère exceptionnel et la soif des marchés pour des produits de plus en plus exclusifs et pour des milieux naturels intacts commandent une grande vigilance dans leur utilisation. Selon Goodwin, l’écotourisme peut faire profiter les aires protégées de trois façons : en générant de l’argent pour gérer et protéger les habitats naturels et les espèces, en donnant la chance aux communautés locales de faire des gains économiques grâce aux aires protégées et en offrant un moyen par lequel l’intérêt des gens pour la conservation peut être accru.
Il s’agit d’un espace terrestre ou marin, comportant des écosystèmes, des éléments géologiques ou (…)
De plus en plus, l’écotourisme est perçu comme la meilleure façon de concevoir le tourisme dans ces lieux souvent fragiles et sensibles aux perturbations humaines. À ce point que l’écotourisme fait, dans certains pays, son apparition dans les aires protégées strictes6 alors qu’il y était généralement banni. C’est le cas en Russie par exemple, où suite à la chute du communisme, le support du gouvernement russe aux aires protégées a diminué de 60-90%. L’écotourisme est ainsi vu comme un outil acceptable pour financer leurs activités de base, soit la recherche et la conservation des écosystèmes. Cependant, parce qu’il y a des raisons culturelles et spirituelles pourquoi ces populations s’engagent dans de telles pratiques, leurs proposer des sources alternatives de revenus est souvent une stratégie simpliste et qui a peu de succès.
La pratique de l’écotourisme n’est pas strictement limitée à ces aires protégées publiques. Il existe par exemple tout un réseau planétaire d’aires protégées privées, une des plus connues étant probablement The Monteverde Cloud Forest Preserve, au Costa-Rica. Cette réserve est née en 1973 grâce à des dons privés et elle est aujourd’hui opérée par le centre des sciences tropicales de San José. Avec les années, elle est devenue une des destinations les plus populaires du pays.

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