Les aires marines protégées
Les aires marines protégées (AMP) sont des échantillons représentatifs des écosystèmes marins et côtiers. Elles abritent les richesses naturelles mondiales et jouissent, à ce titre, d‘une haute valeur symbolique. Le Congrès mondial de la conservation en donne la définition suivante : «Tout espace intertidal ou infratidal ainsi que ses eaux sus-jacentes, sa flore, sa faune et ses ressources historiques et culturelles que la loi ou d’autres moyens efficaces ont mis en réserve pour protéger en tout ou en partie le milieu ainsi délimité». La fonction initiale des AMP consistait à protéger et « mettre sous cloche » un site remarquable, unique par sa biodiversité et son esthétique, et dans une moindre mesure, par son patrimoine culturel. Mais cette vocation première, que nous pourrions qualifier de « contemplative », était le fruit d’une représentation scientifique assez fragmentaire de la gestion de la nature, aujourd’hui largement dépassée.
La principale évolution des AMP depuis les années 1970, est la forte expansion du nombre de territoires classés et leur élargissement inévitable à des espaces occupés et utilisés par l’homme. La prise en compte de la dimension socio-économique des AMP est relativement récente et intervient timidement au début des années 1980 dans le sillage du programme sur l’Homme et la Biosphère de l’UNESCO, instrument novateur. Ce dernier cherche à développer un réseau mondial d’aires protégées, tout en considérant l’Homme comme partie intégrante de son environnement et non plus exclu des schémas classiques de préservation.
La décision de leur création est d’abord un processus politique et juridico-administratif impliquant les autorités d’un État souverain. Elle est influencée par les positions de puissantes organisations en faveur du développement durable d’espaces littoraux et marins : dans les pays du Sud, des organisations intergouvernementales et des organisations non gouvernementales (ONG) jouent un rôle majeur dans la construction et le fonctionnement des AMP (Cazalet, 2004). De ce fait, des sciences sociales telles que l’économie, le droit, la science politique, sont à présent requises pour analyser les processus de création de ces aires, leur fonctionnement, et pour tenter de résoudre les difficultés et les “crises” créées par leur installation sur un territoire. L’attente de divers acteurs relative à la gouvernance des aires marines protégées génère des questions de recherches pour les disciplines du droit et de l’économie. Elles concernent, entre autres, la conception des systèmes de gestion de ces aires à différentes échelles (territoriale, régionale, nationale et internationale), ainsi que l’évaluation de leur coût et de leurs effets en termes de conservation et de développement économique, notamment local. Au-delà de la connaissance naissante de protocoles de fonctionnement, de cahiers des charges, ou d’indicateurs biologiques ou économiques qui commencent à être produits pour le suivi d’AMP, on dispose réellement de peu d’analyses sur ces dernières et sur leurs spécificités. Celles-ci restent mal connues des chercheurs, des usagers, des gestionnaires, des administrateurs ou des décideurs politiques, et mal expliquées aux acteurs de la société civile concernés. Cette carence n’est pas sans conséquences. Elle affecte le fonctionnement des systèmes centralisés d’administration des AMP, la concertation avec la société civile riveraine. Elle opacifie les conséquences de la mise en protection sur les populations d’usagers et de riverains, et contribue à l’idée selon laquelle les retombées des aires marines protégées restent incertaines, ambivalentes et difficiles à justifier.
L’inspiration internationale des politiques de conservation est indéniable… mais l’émergence dans les années 1990 du concept de « développement durable » témoigne d’une évolution supplémentaire dans le renouvellement des idées et la transformation permanente des objectifs. Cette expression, consacrée par la Déclaration de Rio de 1992 dans son principe, adopte une approche plus systémique des questions environnementales, permettant d’envisager dans la globalité le développement humain et ses effets et l’impérative protection des milieux et des ressources naturelles. Le premier effet visible de ce principe est d’introduire la protection de l’environnement dans l’ensemble des politiques publiques industrielles, urbaines, agricoles, etc. Mais curieusement, la détermination par les Etats de la portée juridique de ce principe va entraîner également une redéfinition des politiques de gestion des AMP, car elle introduit à l’inverse la dimension anthropique dans des espaces d’abord réservés à la conservation.
Les AMP ne sont plus aujourd’hui un simple enjeu écologique, mais sont considérées comme des sphères territoriales cohérentes susceptibles de participer à des degrés divers au développement des populations vivant à l’intérieur de la zone protégée, à proximité et au-delà. L’amélioration des conditions de vie des résidents et le maintien de leurs activités est indissociable de la garantie de ressources marines et côtières pérennes.
Cette dépendance de nature bilatérale est une illustration des grandes problématiques d’envergure mondiale visant à réformer les politiques des pêches autour des objectifs de durabilité, en quête d’un équilibre entre la conservation des espèces et leur utilisation à long terme. Les richesses halieutiques constituent, pour deux raisons principales, un champ d’investigation prioritaire. Elles sont tout d’abord une source vitale d’apport protéique pour les populations humaines, surtout dans les zones sous-développées. En outre et par voie de conséquence, elles sont la cible d’une surexploitation chronique et victimes d’un épuisement progressif et programmé. Les causes et les effets de ce phénomène sont de plus en plus « mondialisés », ce qui limite la capacité des Etats à agir seuls dans la mise en place d’outils efficaces de gestion et nécessite une action commune et consensuelle à l‘échelle internationale. Mais, force est de constater que les séquelles de la prédation incontrôlée sont démultipliées dans les pays sous-développés, principaux détenteurs des richesses naturelles en général et des richesses halieutiques en particulier.
La Conférence Stockholm symbolise la naissance d’une « conscience environnementale » qui va permettre d’appréhender les problèmes dans leur globalité, avec en parallèle une amélioration des connaissances scientifiques. La protection de l’environnement représente à l’époque un sujet très sensible (dans le sens où il n’était pas prioritaire), sujet dont on ne pouvait poser les bases qu’à travers un texte non obligatoire mais ayant le mérite d’alerter les Etats sur la situation et de les empêcher ainsi de l’ignorer. Ces derniers, très soucieux du respect du principe de souveraineté territoriale et de leur libre-arbitre en matière de gestion des ressources et des milieux naturels, rendaient l’hypothèse d’un traité complètement illusoire.
La Déclaration va fédérer tout un ensemble de normes et de principes hétérogènes existants pour constituer la « Charte » du droit de l’environnement. Suite à la Conférence, la doctrine va produire une intense littérature « environnementale » et l’insérer au droit international de l’époque. D’un droit enclavé, on passe progressivement à un droit intégré dans l’ordre juridique international.
La Déclaration présente, à titre introductif, une proclamation en sept points dont le but est d’afficher une « conception commune et des principes communs qui inspireront et guideront les efforts des peuples du monde en vue de préserver et d’améliorer l’environnement ».
Le texte énumère ensuite vingt-six principes qui énoncent les bases de l’aménagement et de l’utilisation rationnelle des ressources renouvelables et non renouvelables et par voie de conséquence de la gestion des aires protégées. Le principe 2 rappelle les impératifs de protection « dans l’intérêt des générations présentes et à venir » des ressources naturelles. Ce même principe englobe sous ce terme : l’air, l’eau, la terre, la flore et la faune et les échantillons représentatifs des écosystèmes naturels. La dégradation générale de l’environnement renforce sa valeur et induit un véritable engagement pour sa conservation. Une telle démarche est un encouragement aux efforts de gestion des aires protégées, de leur faune et de leur flore et offre des perspectives de soutien dans la création de nouvelles zones de préservation.
Le principe 4 affirme la « responsabilité particulière » de l’homme face à la raréfaction des richesses naturelles et préconise à cet égard une « sage gestion ». Cette formule peut s’interpréter sur un plan juridique par une gestion en « bon père de famille » qui traduit une gestion avisée, prudente et normale appliquée au patrimoine naturel et à ses composantes.
Dans le contexte politique de l’époque, l’émancipation des Etats du Tiers monde conjuguée à l’importance majeure du principe de souveraineté, confère au droit du développement une place essentielle. La primauté accordée au développement va sensiblement limiter la portée et l’efficacité de la Conférence car les Etats dans leur ensemble vont continuer à donner la priorité aux progrès économiques et sociaux au détriment de l’environnement.
D’autres textes incitatifs viendront relayer cette initiative liminaire. Nous pouvons citer la Stratégie Mondiale pour la Conservation de 1980 lancée par l’UICN, le WWF et le PNUE. Elle annonce déjà formellement les contours du développement durable : elle parle « d’un type de développement qui prévoit des améliorations réelles de la qualité de vie des hommes et en même temps conserve la vitalité et la diversité de la terre. Le but est un développement qui soit durable. A ce jour, cette notion paraît utopique, et pourtant elle est réalisable. De plus en plus nombreux sont ceux qui sont convaincus que c’est notre seule option rationnelle ».
La Déclaration sur l’environnement et le développement réactualise Stockholm et réaffirme l’importance du rapport environnement -développement en consacrant le concept de « développement durable » dans son principe 4 (rappelé en introduction). L’auteur, A. Kiss, considère que « cette forme de développement ne compromet pas les possibilités de l’avenir tout en cherchant à satisfaire les besoins du présent, autrement dit, elle est respectueuse des ressources naturelles ».
Il s’agit d’un principe « composite intégrant trois objectifs inséparables et contradictoires » : le premier objectif est celui de la croissance et de l’augmentation des productivités. Le second recherche une meilleure répartition du bien-être et la réduction de la pauvreté à travers le partage. Enfin, le troisième rappelle la nécessaire protection de la nature, comme la condition essentielle aux deux précédentes.